C A P T U R E S - E R O T I Q U E S  

Ceci n'est pas mon intimité
"Du X à l'infini, de l'alpha à l'omega" par François Birembaux

Le sujet, pornographique ou érotique selon ce que chacun peut ressentir, ne provoque pas l’indignation mais soulève le problème de l’image. Retravaillée, chaque image permet à celui qui la regarde de contempler une scène qu’on ne peut plus qualifier d’obscène parce qu’elle nous est présentée sous un aspect glacé, objectif, presque désincarné. Cette succession de représentations esthétiques des corps «crus» dans une mise en scène superfétatoire s’affiche dramatiquement et superbement mettant ainsi en lumière «l’état d’âme» de notre époque autour d’une vision très contemporaine des corps. La pertinence d’YVES HAYAT consiste dans l’inversion de la démonstration de Baudrillard qui affirmait que la pornographie contemporaine était plus réelle que le réel. En effet, l’artiste cherche dans son œuvre à rendre plus irréel le dévoilement pornographique si réaliste des corps.

Le perfectionnisme d’YVES HAYAT se manifeste ainsi dans une création esthétique autour de la vie grâce à une perception sensible et intelligente de ce qui est. Car on peut transformer tout sujet, quel qu’il soit, en art, selon les dispositions d’esprit que l’on a et les sentiments que l’on éprouve. Comme Rubens, mais en habillant avec pudeur et symboliquement les corps, YVES HAYAT parvient à outrepasser subtilement les convenances, voire les «garde-fous» du «Surmoi» parce qu’il éveille sous toutes leurs formes les inclinations secrètes, voire abyssales, du psychisme des spectateurs. Mais il ne s’adonne pas ainsi à la stimulation d’une sorte d’excitation par la représentation d’une hyper-réalité pornographique. YVES HAYAT nous offre plutôt une infinie quantité de lectures autour du sexe afin de nous faire entendre la musique si ambivalente de notre époque, à travers la violence des images, grâce à une sensibilité et un talent esthétisants. Il ne nous
montre pas à travers l’art comment fonctionne le sexe ni comment le corps est à l’intérieur. Mais, en floutant intelligemment l’image, en jouant sur les nuances colorées, en choisissant avec pudeur certaines postures, l’artiste cache, au fond de chaque photographie travaillée, une sorte de dérision sage masquant une pépite d’émotion et faisant surtout la démonstration d’une virtuosité  métaphorique contemporaine.

Il n’est donc point question de morale dans cette œuvre qui, à travers elle, pose une question fondamentale: comment, devant un si évident péril des âmes et de l’amour, préserver un salut pour l’homme ? Le constat que suscite l’œuvre renvoie à la démonstration lacanienne selon laquelle il est impossible d’atteindre l’autre. La représentation d’YVES HAYAT nous impose les figures de la sexuation comme un mur infranchissable qui sépare les êtres. «Il n’y a pas de rapport sexuel» écrivait Lacan. Ce mur, esthétique, en est une représentation, qui nous révèle une vérité scandaleuse : «Quand il y a de l’Un, il n’y a jamais de place pour l’Autre». Ce mur contredit l’illusion magnifique et romantique de l’amour. Cette terrible prise de conscience peut faire naître en chacun de nous une volonté de résistance. Car aimer en sachant qu’on ne peut jamais atteindre l’Autre, c’est aimer en se libérant de toute volonté de pouvoir et de sentiment de propriété. L’extrême sensibilité artistique d’Yves Hayat se situe à ce niveau : exprimer la beauté dans toute sa puissance même là où l’insoutenable vulgarité de l’humain semble s’imposer !  Sa création s’oppose radicalement aux images figées, mortifères et impersonnelles de la pornographie qui nourrit l’étrange «hyper-réalité» sociétale.

Initialement, chacune des postures représentées est déshumanisée pour une double raison : d’une part parce qu’elle s’inscrit dans un processus de consommation du sexe, d’autre part parce qu’elle nous révèle que la sexualité ne dépend pas exclusivement du sentiment amoureux. YVES  HAYATa réussi à les réhabiliter en les sublimant sans adopter une posture bêtement moralisatrice ni céder à la fascination du porno «intellectuel chic». Les formes, retravaillées,  s’incarnent et influencent notre regard, modifiant, dans une perspective hégélienne, notre perception du sujet. A travers l’exposition des corps anonymes en posture de simulation de la sexualité, YVES HAYAT honore, tel un magicien de l’esthétique, la complexité de la liaison à l’autre. Corrélativement, il nous conduit à aller chercher au fond de notre cœur le sens intime de la relation de corps en travaillant l’image sur le double registre du réel et du mystère privilégiant la suggestion du désir plutôt que  celle de l’instinct. La force de persuasion de cette œuvre consiste essentiellement à ne pas séparer pornographie, érotisme, amour, voyeurisme, perversion, etc... c’est un tout qui forme un schème, une structure qui nous est propre. La grandeur de l’homme est de porter tout cela en lui. Dans ce sens, le génie démiurgique d’YVES HAYAT se manifeste par l’expression d’une nouvelle forme d’humanisme contre le sensationnalisme factice qui consiste à construire nos convictions, voire nos idées, dans un univers pollué par la surabondance d’images. Nous sommes libres de faire une sélection dans cette communication outrancière et de la marquer du sceau de notre propre personnalité. YVES HAYAT, lui, ne se contente pas d’observer et de critiquer, il sublime ce qu’il représente pour nous révéler que, de ce qu’il y a de plus sombre, on peut tout de même extraire le beau et en saisir l’essence spirituelle, enlevant ainsi toute raison d’être à une condamnation sur un double mode radical, accusatoire et inquisiteur. Cette démarche audacieuse, digne de l’œuvre du CARAVAGE, fait penser à celle de GENET, dans Le Miracle de la rose, qui arrivait à exprimer une spiritualité, une beauté empreinte de religiosité, en décrivant un univers carcéral d’où il réussissait à faire surgir l’amour.

Ces clichés, totalement transfigurés font naître dans l’esprit de celui qui les regarde l’idée que chacune de ces poses peut devenir sienne, non pas à cause d’une pulsion critiquable mais plutôt par une sorte de désir de vie, d’amour, écartant toute «scopophilie». Ils font naître une volonté de ressentir le plaisir avec l’Autre , en n’en faisant pas un simple objet à contrôler mais plutôt un sujet qui est et qu’on considère comme une fin en soi, digne d’être préservé; les corps se fondant dans une véritable communion excluant toute idée de domination.

C’est une belle réussite que de parvenir à construire une telle œuvre en captant des tranches de vie sexuelle anonymes; c’est aussi cela l’être humain: la capacité à transformer, à humaniser. On pourrait comparer cette œuvre au mur de Berlin sur lequel les Berlinois exprimaient leur résistance en dessinant et en mettant de la couleur. Yves HAYAT appartient à cette race d’artistes qui résiste au discours intellectualiste et sectaire, il n’entre dans aucune catégorie, aucune école, aucun courant. En revanche, il écoute, il regarde, il appartient à notre monde. Il veut en être le témoin avec l’honnêteté intellectuelle propre aux grands reporters dont le regard est tourné non pas sur la constatation amère et nihiliste de notre univers chaotique mais vers la perception de ce qui est beau.  Contrairement au discours ambiant qui exprime le pessimisme et l’alarmisme, YVES HAYAT ne détruit  pas, il reconstruit notre vision du monde. Certes, il n’a pas choisi la facilité dans sa communication avec le public, il est, en effet, difficile de susciter chez celui qui regarde l’impression de l’intimité, de la pertinence du vécu dans le domaine de la sexualité qui, bien qu’elle soit «surmédiatisée» n’a jamais été autant controversée. Le jeu artistique,sûr, d’YVES HAYAT réussit, en partant d’un univers de vulgarité, à s’inscrire dans une provocation toute en finesse. Partant d’un univers très spécial, baptisé X, il réussit à nous faire rejoindre celui, universel, de l’alpha et de l’oméga.

YVES HAYAT pourrait intituler cette œuvre, en s’inspirant des légendes de MAGRITTE: «ceci n’est pas mon intimité».
L’art, domaine par excellence de la liberté, lui permet d’exprimer sa perception du monde et son intérêt pour tout ce qui nous touche et qui est universel. Cette œuvre en est la manifestation. Pour conclure, le travail sur le réel des corps sans tomber dans l’hyperréalisme pornographique relève bien du pari artistique surréaliste. Cet artiste meséduit par sa capacité à supprimer les frontières en décloisonnant notre vision des choses.

«Qu’est-ce donc que la pornographie? En art, ce ne sont ni la charge ni la stimulation sexuelle. Ce n’est même pas l’intention délibérée de l’artiste de réveiller ou d’exciter le désir sexuel. Il n’y a rien à redire au désir sexuel lui-même, du moment qu’il se manifeste sans détour, et non sournoisement, en catimini. La stimulation sexuelle normale est bénéfique à la vie humaine au quotidien (...) La pornographie consiste à essayer de ravaler le sexe, de le couvrir d’ordure».  D.H Lawrence

"C'est par la boulimie de la matière que Rubens échappe à la rhétorique creuse des peintres de cour. Tout se passe comme si les empâtements et les  giclées de la couleur
avaient  peu à peu entraîné le virtuose, loin des pompes mythologico-chrétiennes de son siècle, dans un monde où ne compte plus que la substance pure... Les fesses des Trois Grâces sont des sphères.»  Marguerite Yourcenar